Le divorce sans juge, l'injustice familiale du XXIème siècle

 

Le 17 mai 2016, l’Assemblée Nationale a adopté le projet de loi de modernisation de la « Justice du XXIème siècle » en procédure accélérée. Ce texte contient un article 17 ter, introduit en commission des lois par un amendement du gouvernement, qui prévoit que «lorsque les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils peuvent, assistés chacun par un avocat, constater leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats… Cet accord est déposé au rang des minutes d’un notaire, lequel constate le divorce et donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire. »

Cette procédure ne peut cependant s’appliquer lorsque :

- l'enfant mineur, informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge demande son audition par le juge. Les parents ont en effet le devoir de prévenir leur enfant qu'il peut être entendu par le juge, s'il n’est pas d'accord sur l'arrangement prévu par ses parents.

- l’un des époux se trouve placé sous l’un des régimes de protection prévus par la loi[1]

 

Simplifier pour pacifier ? Ou… payer moins cher

L’objectif affiché par le Garde des Sceaux, Jean-Jacques URVOAS, est double : « pacifier les relations entre époux et leur faciliter la vie en simplifiant les procédures de divorce » et désengorger la justice. Si les époux s’entendent sur leur séparation, pourquoi passer devant le juge ? Le garde des Sceaux dit répondre ainsi au souhait de la majorité des Français.

Cette affirmation est relayée par le journal La Croix  du 6 mai 2016 : « les Français plébiscitent l’idée ». Pourtant cette loi correspond à une part infime de la population, pour qui le divorce se passe bien. Alors n’y a-t-il pas une part de rêve dans cette approbation ? Les sondages laissent entrevoir un divorce sans souffrance, chacun repartant content de son côté. Mais, dès que l’on regarde la réalité, on voit bien que la vie ne se passe pas comme cela. Le collectif dit une chose, l’individu une autre. Les histoires de divorce sont douloureuses, très souvent conflictuelles, laissent la plupart du temps des traces indélébiles et de nombreux psychologues indiquent que les divorces faciles refont souvent surface un jour ou l'autre devant le juge aux affaires familiales. Ne vaut-il pas mieux que ça se passe devant une autorité juridique qui représente la loi ?

 

Les plus faibles – épouses et enfants – mal défendus

L'Obs du 17 mai nous dit que, pour  le garde des Sceaux, la présence de deux avocats prévue dans le projet de loi est suffisante pour garantir la protection de l’enfant ou des femmes victimes. Le défenseur des droits, Jacques TOUBON, et les associations féministes en doutent. Des avocats en doutent aussi. Michèle BAUER, avocat, l’exprime dans Village-justice.com  du 4  mai: « L’avocat ne peut remplacer le juge : l’avocat n’a pas pour rôle de contrôler l’équilibre des intérêts en présence. Il a un rôle essentiel de conseil. Il conseillera les époux pour un équilibre des intérêts en présence. Cependant, ce sont les époux qui auront le dernier mot. L’avocat aura mandat de rédiger la convention de divorce selon les souhaits des époux qui se diront d’accord sur tous les points. Ainsi une convention déséquilibrée pourrait être présentée au notaire pour homologation, l’avocat conseillant les époux ayant parfois essayé de leur faire changer d’avis, sans succès ». Elle ajoute : « Seul un juge, qui est neutre, mandaté par aucune des parties, pourra vérifier le consentement des époux au divorce et aux dispositions prévues dans leur convention de divorce. »

François de SINGLY, dans Le Monde  du 24 mai, réclame la présence d’un tiers pour représenter l’enfant, sans qu’il ait à le réclamer : « Symboliquement, la présence d’un juge marque aussi que l’enfant existe en tant que personne. » Un enfant qui risque d’être oublié par des parents en conflit « Ce n’est en rien naturel d’être un bon parent ».

 

Un divorce plus cher et moins équitable

Me Arnaud DELVOLVÉ, avocat à Moissac (82) que nous avons contacté, ajoute : « Dans le divorce avec juge, chaque époux est entendu par le juge dans un entretien séparé,  seul  et sans avocat. Le juge vérifie le consentement des époux, sur le principe du divorce lui-même et sur toutes ses conséquences, notamment la prestation compensatoire et les mesures concernant les enfants. (…) Le divorce à l’amiable sans juge ne protège pas le plus faible. Et, paradoxalement, le coût du divorce sera plus lourd pour les époux, puisqu’ils seront obligés d’avoir chacun leur propre avocat, au lieu de prendre le même comme c’est possible actuellement. »

 

L'Obs relève également un autre argument du garde des Sceaux, selon lequel « 99,9 % des conventions sont aujourd’hui homologuées par le juge ». Ce chiffre est peut-être optimiste. Quoi qu’il en soit, cela veut dire que pour 0,1% de la population, la convention présentée par l’avocat est refusée. Cela représente 70 couples, ce qui n’est pas rien. Me DELVOLVÉ cite le cas d’un couple qui déclarait être d’accord sur la garde principale de leur fille de 1 an par le père : « Le juge, recevant séparément chacun des époux, décela que la mère était victime d’une énorme pression du mari et n’avait accepté qu’à contrecœur ce choix déchirant pour elle. Il a refusé de prononcer le divorce. » L’avocat, mandataire de ses clients, n’avait pas été en position de vérifier aussi bien que le juge le véritable consentement de la mère au prétendu accord sur la convention de divorce proposée.

L’Association nationale des avocats de famille fait une contre-proposition : que ce divorce par consentement mutuel soit établi sous la forme d’acte établi par un ou deux avocats selon le choix des époux, soumis à une simple homologation du Juge lui donnant force exécutoire, sans comparution des époux, s’il n’existe pas d’enfants mineurs et lorsque l’acte sous signature privée aura été contresigné par deux avocats. Dans les autres cas, la comparution des époux devant le Juge serait obligatoire. Cette proposition limite les effets de la loi mais ne nous y trompons pas, elle n'empêche absolument pas l'affaiblissement de l'institution du mariage induit par cette loi !

 

Divorcer, une simple formalité ?

Du côté des notaires, la mesure semble bien accueillie, si l’on en croit l’article du Figaro  : « C’est une suggestion que nous avions faite à plusieurs reprises par le passé », y explique Pierre-Luc VOGEL, président du Conseil supérieur du notariat. Avant d’insister sur un point : « C’est une mission qui est totalement désintéressée », car ces actes, qui devraient coûter 50 € aux couples, « seront réalisés à perte », avec l’objectif de « simplifier la vie de ces concitoyens ».

 

Propos qui ne font toutefois pas l’unanimité dans la profession :

- Pour le notariat rural, c’est encore un acte qui, ajouté aux mesures de la loi Macron qui plafonnent les « petits » actes, fragiliseront un peu plus la situation financière de ces études, dont les gros actes ne sont pas suffisants pour couvrir ces « petits » actes exécutés à perte. Quel comble en effet que le divorce devant notaire devienne un acte infiniment moins valorisé que l'achat ou la vente d'un bien immobilier !

 

- Un notaire parisien nous écrit : « Cette réforme, une fois de plus menée à la hâte et sans concertation avec les professionnels concernés, n'a en aucun cas été souhaitée par la profession notariale, ou du moins absolument pas dans ces termes. En effet, nous borner à déposer au rang de nos minutes une convention dont le contrôle nous échappera totalement sans avoir vu ou reçu les parties nous relègue à un rôle de certificateur. L’un des fondements de notre métier est d’établir des contrats équilibrés entre les parties. Quelle sera la bonne attitude face à une convention qui sera manifestement au détriment de l’une des parties ? Les plus vulnérables ou les plus faibles feront encore les frais de cette réforme ! Sur le fond, l’absence du juge dans cette procédure manifeste clairement le peu d’intérêt que l’on porte à l’institution qu’est le mariage en le ramenant au rang d’un simple et banal contrat. »

 

Le mariage, l'acte personnel public le plus important pour la société

Cette dernière remarque rejoint les craintes exprimées par les associations familiales et la Conférence des Évêques de France (CEF). Pour l’Union Nationale des Associations Familiales  (UNAF), « le mariage n’est pas un simple contrat patrimonial qui pourrait se défaire devant un notaire. Le mariage est célébré devant la société en un acte solennel et public, sa dissolution doit recevoir un formalisme suffisant dans le respect du parallélisme des formes. » L’UNAF ajoute : « Tout divorce, même envisagé de manière consensuelle, n’est jamais banal, tant pour les adultes que pour les enfants. »

Jean-Marie Andrès, président de la Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques , rappelle que « le mariage a une dimension sociale et symbolique. Il ne s’agit pas uniquement d’un contrat. Or le divorce sans juge vide le mariage d’une partie de son contenu. Chaque fois qu'on facilite le divorce, on affaiblit le mariage et la famille. »

La CEF  insiste sur la protection des plus faibles : « Aujourd’hui le juge permet de veiller à l’intérêt de chaque partie, et de sortir du rapport de force, qui peut continuer à exister même dans un divorce à l’amiable. (…) Le mariage est une institution au croisement de l’intime et du public ». En effet, il est célébré en mairie, devant témoins. « Le divorce sans juge occulterait ce caractère institutionnel du mariage au profit d’un caractère contractuel. »

Geneviève VERDET, administrateur de la Confédération Nationale des AFC



[1] Article 425  du code civil : Toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté peut bénéficier d'une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre.

S'il n'en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l'une de ces deux missions.